Dictionnaire français-brigasque
AVERTISSEMENT
Ce dictionnaire est le fruit d'une très grande passion affective que
je nourris pour La Brigue et pour le dialecte brigasque en particulier.
Initialement non destiné à la publication, ce dictionnaire est
né d'une très forte volonté de transmettre à mes
enfants, avant même qu'ils ne naissent, la langue de leurs ancêtres.
Les sources de cet ouvrage sont dans un premier temps mes connaissances propres,
apprises en famille ou bien auprès de tous ceux dont le brigasque est
la langue maternelle (ce sont les locuteurs naturels) et avec qui j'ai eu
un jour la chance de parler. Que tous ceux-là soient infiniment remerciés
car ils ont chacun participé à la réalisation de ce dictionnaire.
Je ne les ai quasiment jamais interrogés directement sur des questions
lexicales car j'ai constaté que cette méthode était assez
peu efficace ; je préfère en revanche les écouter parler
à leur guise, en essayant quelquefois d'amener la conversation vers
le domaine étudié.
Chaque fois que j'ai fait connaissance avec un mot qui m'était inconnu,
j'ai toujours essayé de me le faire confirmer par d'autres locuteurs,
mais je n'en ai pas fait une règle restrictive et on peut ainsi trouver
dans cet ouvrage des mots pour lesquels je n'ai qu'une seule source.
C'est le cas par exemple du verbe ëngiudërìi (duper, arnaquer,
tromper) que je n'ai entendu que dans une seule famille, mais il n'en est
pas moins légitime et cette famille l'emploie couramment.
Sûrement aurait-il été intéressant de donner pour
chaque terme une idée de sa fréquence d'emploi. Et c'est ainsi
qu'il aurait fallu faire s'il s'était agi d'un travail véritablement
scientifique, universitaire. Alors le lecteur aurait pu savoir que le verbe
cuyunàa est utilisé beaucoup plus souvent que son synonyme ëngiudërìi,
ce qui lui aurait peut-être permis d'émettre des hypothèses
sur le caractère plus ou moins archaïque de tel ou tel mot.
Mais je ne l'ai pas fait. En outre, je prends plaisir désormais à
utiliser le verbe ëngiudërìi et j'ai chaque fois une pensée
émue pour ceux qui me l'ont enseigné.
Ce dictionnaire a aussi de très nombreuses sources bibliographiques,
et notamment le remarquable ouvrage de mon ami Pierleone Massajoli (Dizionario
della Cultura Brigasca .Ed.Dell'Orso -1991). Massajoli, lui, a réalisé
un ouvrage véritablement scientifique. Je tiens à lui rendre
hommage pour s'être intéressé avec autant de rigueur et
de passion à la Terre Brigasque sans en être un enfant.
Outre le travail de Massajoli, je veux aussi citer toute la production littéraire
des revues R Ni d'àigüra (depuis 1983) et A Vastera (depuis 1989).
Ces deux revues dirigées respectivement par Pierleone Massajoli et
Antonio Lanteri, ont permis et permettent toujours à un grand nombre
d'auteurs de s'exprimer avec leur langue brigasque sous une forme qui lui
était inconnue jusqu'à elles : l'écrit. Je veux remercier
tous ces auteurs qui m'ont transmis beaucoup par leurs écrits. Parmi
eux, Carlo Lanteri qui a étudié avec une très grande
rigueur le costume brigasque et je le cite régulièrement dans
tous les articles du dictionnaire qui évoquent le lexique relatif à
l'habillement.
A chaque fois qu'un auteur écrit un article dans une de ces revues,
il contribue à faire vivre encore un peu plus le brigasque.
Lorsque l'on s'intéresse à un dialecte, il est difficile de
le faire isolément sans s'intéresser à ceux qui l'entourent
: piémontais, ligure, niçois et autres variétés
d'occitan. On trouve dans la bibliographie en fin d'ouvrage la liste des différentes
publications sur lesquelles je me suis appuyé pour l'étude du
brigasque. Et j'aimerais citer une anecdote pour illustrer cela. Je visitais
un jour le palazzo Pitti, à Florence, et il y avait une exposition
sur des anciens sceaux de cire - sigilli en italien. Et je me suis fait la
remarque que ces sceaux avaient la taille et l'aspect de nos sügéli.
Et j'ai compris alors l'origine du nom du plat favori des brigasques. Mais
nous avons aussi en brigasque un mot qui est assez voisin, il s'agit du mot
sügëlìn, ou sëgëlin, qui signifie seau.
Or le mot sügelìn existe en niçois avec le même sens,
et on le trouve dans le dictionnaire niçois-français de Castellana
qui lui attribue une origine étymologique intéressante ; il
y écrit : sugelin, seau en cuivre portant sur le flanc une ligne de
rivets qui ressemblent à des sceaux. Voilà comment l'étude
d'un ouvrage sur la langue niçoise m'a permis de comprendre comment
deux mots français homonymes - sceau et seau - n'ayant entre eux aucun
lien étymologique, pouvaient se traduire en brigasque par deux mots
assez voisins - sügéli et sügëlìn - et qui auraient
de surcroit la même étymologie. C'est pourquoi la curiosité
sur ce qui existe ailleurs, peut être enrichissante dans l'étude
de ce qui se passe chez nous.
Je veux rendre un hommage tout particulier à un très grand ami
pour qui j'ai une affection et un respect énormes, et sans qui ce dictionnaire
ne serait pas tel qu'il est aujourd'hui. J'entretiens avec cet ami une relation
épistolaire très riche, exclusivement en langue brigasque, depuis
plus de dix ans. Sa grande culture, son excellente connaissance de sa langue
maternelle et aussi l'enthousiasme très grand qu'il m'a manifesté
lorsque, il y a dix ans, je lui avais annoncé que je travaillais à
un dictionnaire Français-Brigasque, m'ont apporté une aide considérable.
Ce dictionnaire, c'est le sien, et il ne m'arrive jamais de parler brigasque
sans penser à lui. Il m'a fait l'honneur de me rédiger une préface.
Nino Stefanelli, ti në pöi savée quant e t'armërsìë
da ta amicissia.
J'ai mis aussi dans ce dictionnaire quelques néologismes. Ces quelques
mots nouveaux que j'ai pris la liberté d'y glisser non sans une petite
pointe d'humour sont un clin d'il que je fais à nos anciens avec
beaucoup de respect. Ils ne font certes pas partie du patrimoine linguistique
brigasque à proprement parler, mais j'ai essayé de faire en
sorte qu'ils soient toujours compréhensibles, et je prends plaisir
à les glisser dans la conversation de temps en temps afin de leur donner
vie, guettant la réaction de mon interlocuteur : telefunin (téléphone
portable), tira-sordi (distributeur automatique de billets de banque), ipì
(néo-rural), etc.
Ce dictionnaire est illustré de très nombreux exemples d'utilisation
des différents mots que l'on y trouve. Le but de ces exemples est de
situer ces mots dans la phrase. Ces exemples correspondent pour certains à
des phrases que j'ai entendues ou que j'ai lues pour d'autres. Un grand nombre
d'entre eux ont été inventés et toute ressemblance avec
des personnes existantes ou ayant existé ne serait que pure coïncidance.
Voilà donc l'esprit qui a animé ma démarche et qui a
abouti à ce dictionnaire.
Je formule le vu que ceux qui auraient négligé un temps
leur langue et qui seraient désireux de renouer avec elle puissent
y trouver une réponse à leurs attentes.
J'ai constaté qu'il pouvait exister chez ceux qui, bien que connaissant
le brigasque, ont le sentiment de ne pas le maîtriser parfaitement,
une certaine pudeur, une retenue qui les fait s'exprimer toujours en français.
J'aimerais que ce dictionnaire les aide à sortir de leur retenue et
qu'ils osent désormais s'exprimer dans la langue de leurs anciens,
afin de leur redonner un peu de vie.
Enfin, j'aimerais dire, comme on peut le lire dans la préface, qu'un
dictionnaire n'est jamais fini. Aussi, la publication de celui-ci qui intervient
après plus de vingt années de travail, n'est pas une fin mais
une étape. Je compte bien continuer de l'enrichir, de le corriger.
C'est pourquoi je m'adresse aux lecteurs en leur demandant de bien vouloir
me faire part de leurs remarques, de leurs critiques, afin qu'il évolue
dans le bon sens.
Didier Lanteri
Route de la cité
01800 PEROUGES
didierlanteri@voila.fr